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Décontenancé

Le 11 octobre 2007, l’aurore s’est levée sur le centre-ville de Sherbrooke, charmé de rossolis et de parme, avec une quinzaine de contenants cimentés, décharnés de leur emballage métallique, de verre, de carton ou de plastique.

 

« Décontenancé », le titre de l’exposition de l’artiste engagée Sandra Tremblay, Sofrida chez les néo-plifiens. Les contenants ont été déposés le long d’une artère commerciale, la rue Wellington Nord, à proximité de l’hôtel de ville, aux endroits mêmes où ils avaient été découverts la semaine avant l’exposition– l’artiste met en forme les contenants qui préexistent à son action.

 

À l’aube, les premiers passants ont alors observé avec un certain étonnement, près d’un restaurant, des verres à café et des couverts cimentés; près d’un « coven», des bouteilles d’eau, des canettes de liqueur; sur le pied d’escale d’un commerce à produits de nettoyants écologiques, un gallon d’eau de javel; etc. « Décontenancé », un titre évocateur, car l’artiste cherche à créer la confusion, à troubler les passants, à les questionner dans leur quotidien.

 

Pour Sofrida, il s’agit d’une occasion d’entrer en contact avec l’autre et de questionner ses habitudes de vie. Pour cette artiste, l’achat d’un produit jetable devrait inclure la responsabilité de son recyclage, de sa réutilisation. Les contenants ont été moulés avec du ciment sable, quelques jours avant l’exposition. Le matin du 11 octobre, ils ont été déposés dans des lieux habituels, avec cette volonté d’assimiler l’art et le quotidien. Tout a été installé avec minutie : le choix des contenants (en fonction des commerces avoisinants), leur emplacement et leur position dans le décor urbain. L’effet provoqué est important. Ainsi, Sofrida interpelle la conscience sociale des passants au point où, à peine quelques heures après l’exposition, près de la moitié des oeuvres avait disparu. Les objets avaient été déplacés ou jetés aux poubelles par certains commerçants offusqués et embêtés ou encore apportés chez soi ou au travail par des individus qui y ont vu une oeuvre artistique intéressante.

 

Le parcours de « Décontenancé » ne suit pas une trame précise mais provoque une sorte d’échange entre les oeuvres. En réalisant ces scènes avec des objets du quotidien, Madame S. nous rappelle ce que nous avons tendance à oublier ou à dissimuler et fait confondre les habitudes de vie des gens à celle des contenants qui habitent leur quotidien. Ici, l’art joue le rôle d’un investissement, l’activité artistique dépasse le jeu sérieux et devient prétexte à un enseignement.

 

« Décontenancé » ou l’art informe une matière : la rue, la vie de cette rue. Les contenants donnent forme à l’esprit de Madame S. car ils ont été créés pour être regardés et suscitent une réflexion. L’enseignement où une société d’abondance et de surconsommation est clairement dénoncée. Les passants sont interrogés sur leur propre attitude face aux déchets, à la pollution mais aussi à la grisaille du cadre urbain et de la vie au quotidien. Il y a dans ces contenants de béton, un état durable, un poids de la nature humaine : le non-recyclage, les gens qui continuent à jeter par terre les déchets, un non-sens.

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